Bernard Saby, L'intimité du Monde
Du 26 janvier au 25 février 2023

L’intimité du monde, Bernard Saby.
Par Stéphane Gatti


Il est toujours intriguant quand on parle de peinture abstraite d’imaginer le mot « intimité » . Après 1945 pour des raisons évidentes aussi bien dans le domaine de la Musique que celui de l’Ecriture ou de la Peinture, beaucoup ont essayé d’imaginer de nouvelles écritures de rupture. Bernard Saby incarne ce défi. D’abord mathématicien, puis membre du mouvement dodécaphoniste avec René Leibowitz et Pierre Boulez , il se décide finalement pour la peinture et cherche ce que serait une nouvelle écriture du sensible. Dans un entretien fait par Michel Butor le Maitre du Nouveau Roman, il décrit très précisément la tension née de la possibilité de profondeur.

Bernard Saby
Voilà, un jour dans mes tableaux s’est mise à apparaître une profondeur et je me suis enfoncé, je me suis lancé à corps perdu dans son exploration
Michel Butor
Comment cette profondeur se produisait-elle ?
Bernard Saby
J’essayais d’organiser mes œuvres par des symétries puis par des homologies. C’est-à-dire que je faisais jouer une forme avec une autre semblable mais plus grande ou plus petite. À partir du moment où l’œil identifiait une série de formes semblables croissantes ou décroissantes automatiquement, celles-ci se disposaient dans l’espace.
Michel Butor
À l’origine il y a par conséquent une notion de variation qui peut très bien faire comprendre comment tu es passé de la musique à la peinture et quelle parenté essentielle relie ton œuvre à celle des compositeurs les plus inventifs de ton temps.
Bernard Saby
Tout vient d’un élément, d’une figure fondamentale, d’un thème que l’on peut définir comme deux lignes verticales de même longueur reliées par une ligne oblique, une sorte de manivelle. Si on lui ajoute son symétrique par rapport à une ligne horizontale, on obtient comme un vilebrequin ; si on lui ajoute à quelque distance son symétrique par rapport à un axe vertical, on obtient d’un côté une sorte de bouteille, de l’autre une sorte de verre, et si l’on fait varier les dimensions de ces éléments les uns par rapport aux autres on engendre des figures en nombre infini.

D’un point de vue technique ce qui m’intéressait surtout c’est qu’il y avait là un moyen très puissant de lier les unes aux autres, les différentes parties du tableau. Cela forme des figures qui s’encastrent. La droite et la gauche sont ainsi enchaînées l’une à l’autre comme par une série de queues-d’aronde.

Cette oblique, l’œil a toujours tendance à la redresser, la figure surtout lorsqu’elle se trouve grouper avec d’autres semblables, a tendance à se déployer dans l’espace. L’oblique tendra vers une horizontal, et l’une des deux verticales se mettra en avant ou en arrière de l’autre.

Je faisais des parois, grottes cristallines et vitrifiées, qui ouvraient quelques fois sur un ciel. En m’enfonçant, je me suis tout naturellement installé dans cette ouverture et j’ai donc peint des paysages.


Bernard Saby20
Bernard Saby
France
1925 - 1975
Bernard Saby (1925-1975) est un peintre et dessinateur français. Après avoir étudié dans sa jeunesse la composition musicale auprès de René Leibowitz, il développa une abstraction singulière et suggestive, nourrie non seulement par ses recherches dans le domaine de la musique sérielle, mais aussi par son expérience des drogues, mescaline ou haschich notamment, ou encore par son étude approfondie des lichens et des textes chinois anciens.

Henri Michaux a publié en 1956, dans Misérable Miracle, un texte de Bernard Saby décrivant son expérience de la mescaline : L’image privilégiée.

Selon Patrick Waldberg, "Bernard Saby [était] sans doute, de sa génération, le plus intrépide côtoyeur d'abîmes." 1 Selon Jean-Jacques Lebel : "Mort jeune, Bernard Saby n'avait pas d'âge. Sa singularité absolue le plaçait au-dessus de la mêlée." 2 Pierre Boulez, son condisciple chez Leibowitz, affirme "qu'on peut voir la personnalité de créateur de Saby comme écartelée entre les forces d'irrationalité auxquelles il estimait indispensable de s'abandonner et le besoin de les ordonner selon une logique avouée et contrôlée." 3

Le Musée d'art moderne de la ville de Paris lui a consacré une rétrospective en 1986, et expose des tableaux de Saby dans ses collections permanentes. Il est aussi présent dans les collections du Musée national d'art moderne, Centre Pompidou.